Vendredi 23 mai, première édition de "poésie sous les arbres".
Le soleil était presque au rendez-vous pour nous réchauffer sur le kiosque à musique Anne Sylvestre au square Stalingrad.
Des poésies, d'ici et d'ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui.
Le tout accompagné de quelques douceurs
Été
Sème, sème l’été,
sème des grains d’eau lumineux.
Plante, plante l’été,
plante des tiges d’eau frêles.
Sème, sème, plante, plante,
sème et plante dans le crépuscule.
Qui ou quoi moissonnera les épis ?
Qui ou quoi cueillera les fruits ?
Est-ce le petit oiseau brûlé de soif
venu des sylves gorgées de cours d’eau pure
celée, celée sous des ronces ?
Ou l’abeille qui est comme ivre de soleil
et qui titube au cœur des branches ?
Ou la femme-enfant qui vient de dénouer sa chevelure
et qui a lavé des effets au bord du fleuve ?
Ou bien une source, quelque part, s’est-elle tarie
au point que son jaillissement éteint regrette les fleuves ?
Mais n’est-ce pas plutôt qu’un fleuve bruissant,
ici ou là, n’arrive plus jusqu’au golfe,
et n’arrive plus à grossir la mer ?
Ou que la plantation de ceux qui sont sous la terre
devient deux fois ombre dans les ténèbres ?
Je crois, moi, que ce sont les plantes
qui brûlent d’offrir à mes yeux parfois bleus,
et brûlent d’offrir au jour frais éclos
qui fermera ses ailes au seuil de la nuit,
des épis et des fruits fécondés par l’été.
Jean-Joseph RABEARIVELO
En grandissant
C’était il y a si longtemps.
Mon rêve je l’ai presque oublié.
Mais alors il était bien là,
Devant moi,
Vif comme un soleil…
Mon rêve.
Et puis le mur monta,
Il monta lentement,
Lentement.
Entre moi et mon rêve.
Il monta lentement, très lentement,
Obscurcissant,
Dissimulant,
L’éclat de mon rêve.
Il monta et toucha le ciel.
Oh! ce mur!
Ce fut l’ombre.
Me voilà noir.
Je suis couché dans l’ombre.
Devant moi, au-dessus de moi
L’éclat de mon rêve n’est plus.
Il n’y a que mur épais.
Il n’y a qu’ombre.
Mes mains!
Mes sombres mains!
Elles traversent le mur!
Elles retrouvent mon rêve!
Aidez-moi à briser ces ténèbres,
A fracasser cette nuit,
A rompre cette ombre,
Pour en faire mille rais de soleil,
Mille tourbillons de soleil et de rêve!
Langston HUGHES
El Desdichado
Je suis le Ténébreux, — le Veuf, — l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Étoile est morte, — et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.
Suis-je Amour ou Phœbus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la Syrène...
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Gérard de Nerval
Fièvre des iles
Le soleil s’est-il brisé sur ta tête
pour que tu sentes ses éclats s’enfoncer
dans l’arbre qui soutient ton dos,
puis vriller à sec dans les branches de ton corps ?
Ton crâne est un énorme fruit vert que mûrit
la canicule de tous les Tropiques –
de tous les Tropiques, mais sans la fraîcheur
de leurs palmiers ni de leur brise marine !
Ta gorge est sèche, tes yeux s’enflamment ;
et voici que tu vois, au-delà de ce que voient les hommes,
tous les Tropiques :
voici des makis parés comme des mariés ;
leurs quatre mains sont chargées de régime de bananes,
et chargées de fleurs jamais vues par ceux qui ne sont pas des gens
et, parmi leur voix heureuse de se baigner au soleil,
voici tout le tumulte des cascades.
Mais, simultanément,
est-ce la glace de la terre qui t’appelle
qui déjà t’enveloppe tout entier,
pour que tu sentes ce frisson à travers tout ton être,
et pour que tu sembles vouloir te cacher sous les nuages du ciel
et sous toutes les feuilles des sylves insulaires,
et sous toutes leurs lourdes brumes,
et sous les dernières pluies au parfum de lait brûlé.
Scelle fortement tes lèvres afin que n’en sorte
aucune des choses que tu vois,
mais que ne voient pas les autres !
Que te berce cet écho qui s’amplifie
dans tes oreilles,
lesquelles sont devenues deux coquillages jumeaux
où palpite la mer qui t’entoure,
ô jeune enfant des îles !
Jean-Joseph RABEARIVELO
Aux quatre vents
Aucun oiseau ne s'égare jusqu'à mon repaire,
pas de noire hirondelle porteuse de nostalgie,
pas de blanche mouette présage de tempête...
A l'ombre des rochers, ma sauvagerie aux aguets
est prête à fuir au moindre frisson, au moindre
pas...
Ma félicité s'estompe et bleuit en silence...
J'ai une porte pour chacun des quatre vents.
Une porte d'or vers l'est-pour l'amour qui jamais
n'arrive,
une porte pour le jour, une autre pour la
mélancolie,
une porte pour la mort - elle reste toujours
ouverte.
Edith Södergran
Les saltimbanques
Dans la plaine les baladins
S’éloignent au long des jardins
Devant l’huis des auberges grises
Par les villages sans églises.
Et les enfants s’en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe.
Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours, des cerceaux dorés
L’ours et le singe, animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage.
Guillaume Apollinaire,
La grenouille
Lorsque la pluie en courtes aiguillettes rebondit aux prés saturés,
une naine amphibie, une Ophélie manchote, grosse à peine comme le
poing, jaillit parfois sous les pas du poète et se jette au
prochain étang.
Laissons fuir la nerveuse. Elle a de jolies jambes. Tout son corps est ganté de peau imperméable. À peine viande ses muscles longs sont d’une élégance ni chair ni poisson.
Mais pour quitter les doigts la vertu du fluide s’allie chez elle
aux efforts du vivant. Goitreuse, elle halète... Et ce cœur qui bat gros, ces paupières ridées, cette bouche hagarde m’apitoient à la lâcher.
Francis Ponge
Les trois oiseaux
L’oiseau de fer, l’oiseau d’acier,
après avoir lacéré les nuages du matin
et voulu picorer des étoiles
au-delà du jour,
descend comme à regret
dans une grotte artificielle.
L’oiseau de chair, l’oiseau de plumes
qui creuse un tunnel dans le vent
pour parvenir jusqu’à la lune qu’il a vue en rêve
dans les branches,
tombe en même temps que le soir
dans un dédale de feuillage.
Celui qui est immatériel, lui,
charme le gardien du crâne
avec son chant balbutiant,
puis ouvre des ailes résonnantes
et va pacifier l’espace
pour n’en revenir qu’une fois éternel.
L’oiseau de fer, l’oiseau d’acier,
après avoir lacéré les nuages du matin
et voulu picorer des étoiles
au-delà du jour,
descend comme à regret
dans une grotte artificielle.
L’oiseau de chair, l’oiseau de plumes
qui creuse un tunnel dans le vent
pour parvenir jusqu’à la lune qu’il a vue en rêve
dans les branches,
tombe en même temps que le soir
dans un dédale de feuillage.
Celui qui est immatériel, lui,
charme le gardien du crâne
avec son chant balbutiant,
puis ouvre des ailes résonnantes
et va pacifier l’espace
pour n’en revenir qu’une fois éternel.
Jean-Joseph RABEARIVELO
Cantique des Cantiques 2
Je suis un narcisse de Saron, Un lis des vallées. -
Comme un lis au milieu des épines, Telle est mon amie parmi les jeunes filles. -
Comme un pommier au milieu des arbres de la forêt, Tel est mon bien-aimé parmi les jeunes hommes. J'ai désiré m'asseoir à son ombre, Et son fruit est doux à mon palais.
Il m'a fait entrer dans la maison du vin; Et la bannière qu'il déploie sur moi, c'est l'amour.
Soutenez-moi avec des gâteaux de raisins, Fortifiez-moi avec des pommes; Car je suis malade d'amour.
Que sa main gauche soit sous ma tête, Et que sa droite m'embrasse! -
Je vous en conjure, filles de Jérusalem, Par les gazelles et les biches des champs, Ne réveillez pas, ne réveillez pas l'amour, Avant qu'elle le veuille. -
C'est la voix de mon bien-aimé! Le voici, il vient, Sautant sur les montagnes, Bondissant sur les collines.
Mon bien-aimé est semblable à la gazelle Ou au faon des biches. Le voici, il est derrière notre mur, Il regarde par la fenêtre, Il regarde par le treillis.
Mon bien-aimé parle et me dit: Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens!
Car voici, l'hiver est passé; La pluie a cessé, elle s'en est allée.
Les fleurs paraissent sur la terre, Le temps de chanter est arrivé, Et la voix de la tourterelle se fait entendre dans nos campagnes.
Le figuier embaume ses fruits, Et les vignes en fleur exhalent leur parfum. Lève-toi, mon amie, ma belle, et viens!
Ma colombe, qui te tiens dans les fentes du rocher, Qui te caches dans les parois escarpées, Fais-moi voir ta figure, Fais-moi entendre ta voix; Car ta voix est douce, et ta figure est agréable.
Prenez-nous les renards, Les petits renards qui ravagent les vignes; Car nos vignes sont en fleur.
Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui; Il fait paître son troupeau parmi les lis.
Avant que le jour se rafraîchisse, Et que les ombres fuient, Reviens!... sois semblable, mon bien-aimé, A la gazelle ou au faon des biches, Sur les montagnes qui nous séparent.
Prochaine édition : Mai 2026